Par Laurent Coppin
Expédition dans le parc Tuktuk Nogait en aout 2005
Le parc national Tuktut Nogait représente une superficie de 16 340 km2. Situé dans les collines Melville, à 40 km à l'est de Paulatuk, une communauté Inuits de 200 habitants principalement constituée de chasseurs et trappeurs. Ce parc est formé principalement d'une vaste étendue de toundra, de basses terres et hautes terres ondulées, de superbes canyons profonds le long des rivières Hornaday et Brock d'où naissent des chutes d 'eau spectaculaires. On trouve de nombreux sites archéologiques de première importance le long des cours d'eau principaux. Il abrite également une faune riche en bœufs musqués, en loups et en grizzlis. C'est également le terrain de mise bas de la harde des caribous de la Bluenose, nom d'un lac se trouvant à l'est du parc.
Pour rejoindre le Parc, deux possibilités s'offrent aux aventuriers : prendre un avion qui dessert Paulatuk depuis Inuvik, ou affréter un avion, toujours depuis Inuvik, qui permettra une dépose directement au cœur du parc. Cette seconde possibilité est beaucoup plus onéreuse que la première et en règle générale nous optons pour la première solution. C'est la compagnie Aklack Air qui assure la desserte de toutes les communautés Inuits se trouvant autour du Golfe d'Amundsen et qui assure également les vols affrétés. Pour connaitre les prix et les horaires des vols il faut se renseigner directement auprès de la compagnie.
La toundra à perte de vue
La proximité du delta de la rivière Hornaday
Perplexe devant l'énormité de notre matériel
Il ne nous en faut pas plus pour que nous décidions de prendre la direction de ce parc dont les attraits sont multiples.
C'est une des régions de toundra arctique que j'affectionne le plus. Une immensité à perte de vue qui vous rend humble, où les limites disparaissent totalement, c'est un désert froid qui renait le temps de quelques semaines à la faveur d'un soleil généreux. Cette expédition va demander beaucoup de préparation et une bonne logistique. Peu de personnes s'aventurent dans le parc à pied depuis le village inuit de Paulatuk et c'est presqu'une première pour nous quatre.
Pour nous lancer dans cette expédition nous avons prévu d'être équipé chacun d'un 3T (Traineau tout terrain), une invention de Jean-Marc qui devrait nous permettre de progresser sur la toundra avec un chargement de près de 70kg et de passer sans encombre les étendues couvertes de Hummocks. La réalité du terrain nous fera prendre conscience rapidement, après quelques jours d'efforts surhumains, qu'il sera préférable de changer notre approche de l'expédition. Initialement nous avions prévu d'effectuer une boucle en longeant les canyons de la rivière Brock et rejoindre les chutes de la Roncière et les canyons de la rivière Hornaday en coupant par les plateaux (en rouge sur la carte).
Il faut se rendre à l'évidence, ça ne va pas être simple de tracter ce chariot avec tout le matériel si on ne prend pas soin d'équilibrer correctement la charge. Et même bien équilibrés les hummocks et l'eau omniprésente auront raison de notre optimisme et de notre courage.
L'eau est omniprésente sur la toundra, le permafrost (terre gelée en permanence) empêche l'infiltration
Efforts surhumains pour progresser sur la toundra. La moustiquaire est indispensable
Les hummocks de toundra
Au bout de 3 jours, nous décidons de laisser nos 3T avec une partie du matériel à un endroit que nous marquerons par un point GPS à égale distance des canyons de la Brock et de la Hornaday. Nous porterons le nécessaire de survie dans les sacs à dos pour 8 jours le temps d'explorer la rivière Brock puis retour au point GPS pour reprendre le matériel nécessaire afin de nous rendre le long de la rivière Hornaday.
Nos principaux ennemis en se début de raid, ce sont les midges et les moustiques. Le pire prédateur de la toundra arctique. Les midges sont des micro mouches voraces capables de gâcher la plus belle des aventures en vous découpant la chair. Les moustiquaires intégrales sont de rigueur pour résister aux attaques permanentes jusqu'à ce que les températures en dessous de 5 degrés fassent refluer les flux des assaillantes.
La traversée de la rivière Hornaday est la première difficulté, il nous faudra 4 allers-retours à 4 pour transporter l'ensemble du matériel sur l'autre rive. La rivière enfin franchie avec tout l'équipement, nous prenons la direction des canyons de la Brock. Dans un premier temps nous parcourons des kilomètres sur une toundra qui s'étend à perte de vue devant nous. Le météo clémente est prétexte à quelques poses afin d'admirer le panorama qui s'offre à nous et pourquoi pas essayer de repérer grizllys, bœufs musqués ou caribous. C'est un attrait quasi mystique que me procure la vision de la toundra que ce soit en été ou en hiver. Toute limite disparait, on ressent une certaine humilité dans cet univers à perte de vue.
Après deux jours de marche, nous commençons à apercevoir depuis les hauteurs la vallée ce qui semble être les prémices des futur canyons. C'est de ce promontoire que nous avons effectué notre première rencontre avec un grizzly. C'est un mâle à la toison plutôt foncée qui accentue encore plus son aspect imposant. Nous l'avons observé durant plusieurs heures, durant lesquelles il s'est adonné à son passe-temps favori, retourner et défricher la maigre végétation de la toundra pour y dénicher quelques racines voire d'éventuels lemmings ou larves d'insectes. Tout en furetant de droite à gauche l'ours commençait à se rapprocher dangereusement de notre campement et pour éviter tout désagrément nous nous sommes mis en évidence devant l'animal qui était maintenant à une cinquantaine de mètres afin de lui signaler notre présence. Juché sur ses pattes postérieures, l'animal a rapidement compris que nous étions une éventuelle menace et pris ses jambes à son cou pour déguerpir le plus rapidement possible.
Canyons de la rivière Brock
Vallée de la rivière Brock
Grizzly
Le lendemain de cette rencontre qui a marqué notre esprit nous atteignons les majestueux canyons de la Brock. Cicatrice béante, cette curiosité geologique contraste avec l'uniformité de la toundra arctique à peine vallonnée. On imagine facilement le travail d'érosion façonnée depuis des dizaines de milliers d'années par les forces colossales de la rivière,. Nous étions loin d'imaginer rencontrer ce spectacle incroyable au commencement de notre expédition. Très peu de gens se sont aventurés dans ce parc et très peu d'expéditions y sont effectuées. Nous pouvons nous considérer comme privilégiés à contempler un tel spectacle. Encore une fois les hautes latitudes ne peuvent nous laisser indifférents. Les contraste de paysages dans l'arctique sont facinants et improbables : Banquise, glaciers, toundra, canyons, foret boréale. Ce sont des écosystèmes d'une incroyable richesse. Nous restons deux jours sur les hauteurs à contempler et à nous émouvoir de tant de beauté. Notre arrivée sur les canyons a coïncidé avec une dégradation rapide des conditions météo et une pluie soutenue va nous accompagner durant presque l'intégralité de notre aventure.
Il est temps maintenant de poursuivre notre exploration et nous entamons le retour vers le matériel que nous avions laissé afin de nous alléger. Une certaine angoisse nous avait gagnés à l'idée qu'un ours ait pu saccager notre matériel et s'en prendre à la nourriture que nous avions entreposée. Mais rapidement nos craintes furent levées en arrivant à proximité de nos sacs.
Nous rechargeons nos sacs, déplaçons les 3T de quelques kilomètres puis nous prenons la direction des canyons de la rivière Hornaday. Il nous faudra deux jours pour nous trouver devant George Creek une rivière qui se jette dans la Hornaday a quelques centaines de mètres de l'entrée des canyons. Moins imposants que ceux de la Brock, ceux-ci n'en demeurent pas moins saisissants et nous pouvons suivre leurs sillons dans la toundra qui vont mener jusqu'aux chutes d'eau de la Roncière. J'étais loin d'imaginer, en longeant la rivière depuis les hauteurs, que quelques années plus tard j'allais emprunter le fond du canyon en hiver pour rejoindre ces mêmes chutes d'eau.
Il est minuit, des trombes d'eau se sont abattu sur nous inondant les tentes. Nous cherchons un point haut pour réinstaller le campement
Nous continuons de progresser avec un temps qui ne cesse de se dégrader, ce qui entrave quelque peu notre motivation et notre courage pour mener à bien notre expédition. A l'approche d'un torrent appelé Akluk Creek (Grizzly en Inutiktuk), qui se jette dans les eaux de l'Hornaday, nous décidons de planter le campement pour quelques jours. Nous sommes à une bonne vingtaine de kilomètres des chutes de la Roncière. Il nous reste peu de temps pour nous permettre d'y aller avec le chargement sur le dos puis entamer notre marche retour vers Paulatuk. Sur ce constat, nous décidons de faire l'aller retour depuis notre campement dans la journée. Ce qui représente pas loin de 40 km. Nous sommes aux deux tiers de l'expédition et les organismes commencent à ressentir les effets de la fatigue. Malgré cela nous entamons dès le lendemain matin notre long périple qui nous mènera à l'objectif principal de cette aventure.
Sur le trajet nous rencontrons quelques caribous égarés de la harde de la Bluenose. Par chance le temps a décidé d'être clément avec nous et c'est un soleil généreux qui va nous accompagner durant cette journée. Malheureusement cette marche sera un peu trop dure pour Magali, notre coéquipière, qui éprouve de plus en plus de difficultés à progresser sur la toundra. Pourtant nous ne sommes pas loin de notre but, un dernier petit canyon à contourner et nous sommes arrivés. Mais il faut penser aux 20 kilomètres du retour. Nous prenons la décision à grand regret de retourner vers le campement. Le choix fut judicieux puisse que Magali s'est écroulée à peine avions nous entamé notre marche retour. La frustration est trop grande pour Jean-marc qui décide le lendemain de retourner aux chutes et cette fois avec succès. Mes deux compagnons et moi restons au camp pour retrouver quelques forces avant d'entamer le retour vers Paulatuk.
Canyons de la rivière Hornaday
Campement à proximité des canyons
Toundra arctique et les prémices des canyons de la Hornaday
Le retour vers Paulatuk s'annonce périlleux, La pluie a repris de plus belle et celles qui ont précédé notre marche vers la Roncière ont fait gonfler les rivières, nous obligeant à chaque nouvelle traversée à nous équiper des waders néoprènes que nous avions emportés (au cas où!!). Les dernières rivières furent traversées en slip, malgré le froid, pour économiser de la fatigue et du temps. Les jours s'enchainent sous des conditions météorologiques catastrophiques. Des pluies diluviennent se déversent sur nous nous obligeants parfois à stopper notre progression pour nous réfugier sous la tente montée en urgence.
Il nous reste quelques 20 km avant de revoir Paulatuk. Mais ce que nous redoutions le plus se concrétisa, la rivière Hornaday était devenue infranchissable, Nous étions bloqués sur la rive droite de la rivière. Nous sommes en 2005 et déjà des effets notoires d'un changement climatique se font sentir dans l'arctique, autant de pluie dans cette région n'était pas envisageable il y a 10 ou 20 ans comme nous le confirmeront les inuits que nous rencontrerons plus tard.
Nous prenons alors la décision de rejoindre la côte et l'embouchure de la Hornaday le long du passage du nord-ouest pour ensuite demander un rapatriement par bateau aux autorités de Paulatuk via notre téléphone satellite. Mais la chance finit par nous sourire. Depuis la colline où nous nous trouvons nous découvrons sur les bord du delta un camp temporaire de pécheurs inuits. Un vrai soulagement et un espoir qu'ils puissent nous ramener vers le village.
Leur accueil fut des plus chaleureux, chacun souhaitant nous accueillir sous leur tente et nous offrir leur repas fait de ragout de caribous et poissons péchés dans la rivière. Ils font sécher les salmonidés dans des fumoirs alimentés par les maigres saules qui tapissent la toundra du haut de leurs 10 cm. Les poissons ainsi fumés apporteront aux inuits une partie de la nourriture de l'hiver auquel il faudra ajouter le résultat de la chasse aux caribous et bœufs musqués.
Les petits inuits, tout heureux de rencontrer des étrangers, sont venus découvrir le mode de vie des aventuriers de l'arctique et partager avec les dernières friandises que nous avions avec nous.